Nuits heureuses dans la Drôme : Astrociel, Valdrôme 2023
Nuits heureuses dans la Drôme
- Prologue
“Courons vers l’horizon, il est tard, courons vite,
Pour attraper au moins un oblique rayon !”
Baudelaire, “Le coucher du soleil romantique”
Ça farte tranquille sur l’autoroute, ce dimanche d’août 2023. Exécutant un plan longuement mûri, implacable, je file sur Valdrôme et ses rencontres Astrociel organisées par la vénérable Société Astronomique de France. En ligne de mire : une petite station de montagne à la jointure du Vercors et des Baronnies provençales, désaffectée de sa fonction première de station de ski faute d’enneigement, mais où il reste possible de venir paresser en famille l’été venu. Au menu : activités ludiques pour petits et grands (tir à l’arc, mini-golf, Déval’kart et tyrolienne), astronomie pour tous les autres 😎.
Je glisse ainsi béatement, habité par cette bienheureuse perspective et pour tout dire en ne pensant à rien, jusqu’au sud de Grenoble. Il faudra se réveiller un peu plus tard pour négocier 2 heures de petites routes de montagne, mon GPS, dans un de ses fantasmes de machine, ayant décidé de traverser le Vercors par je ne sais quelle face, sûrement pas la face nord quand même, mais par le chemin des écoliers. C’est splendide, parfois vertigineux, mais fastidieux. Dans certains hameaux on peut lire « Route de la Clairette ». C’est amusant me dis-je, venir d’Alsace et de sa route des vins pour enquiller celle de la Clairette. Le Destin, sans doute.
Arrivée au camp de base, enfin, et plus tard que prévu. Un panneau proclamant fièrement « Déval’kart » accueille le voyageur. Ah si, il y a aussi une banderole « Rencontres Astrociel 2023 », ouf. Le kart qui dévale, j’en ai ma dose pour aujourd’hui.
Je traverse l’endroit, il y a quantité de camping-cars, de caravanes et autres tentes, et surtout d’instruments pour la plupart bâchés sous le soleil finissant. Ça fleure bon la star-party.
Je rejoins mon emplacement et pars en quête de l’ami Xavier, pas revu depuis le dernier voyage au Chili, en 2018. Curieux : le camp est pratiquement déserté. J’avise deux pékins un peu plus loin, attablés autour d’une carte genre Taki ou Vlasov, un truc d’astro quoi. Les hèle aimablement : vous n’auriez pas vu un certain Xavier ? Un grand, avec une casquette chilienne vissée sur le crâne, enfin sûrement… « Ah oui Xavier, me répondent-ils (ben oui), mais tu viens de Strasbourg ? Tu es Vesper sur les forums ? Ça alors ! On est alsaciens ! ». S’ensuivent quelques bavardages et remarques qui réchauffent le coeur du voyageur esseulé. Après la route des vins, la route de la Clairette, puis des Alsaciens : cette fois c’est le Destin, c’est clair ! Mais voilà un accueil qui fait plaisir, vraiment.
Bref, un peu plus bas à l’apéro je retrouve le complice des aventures australes, on rit, on mange, on boit (enfin moi). On plante ma tente. Le soir s’avance, Xavier part faire un de ses légendaires cycles de sommeil. Moi je suis simplement hébété de fatigue, comme souvent.
La nuit se lève, si on peut dire, et les instruments se débâchent aussi. Je pars faire un tour du camp, il y a du beau monde : foison de gros dobsons d’un côté du parking, pléthore d’astro-photographes aux lunettes courtes de l’autre. Ah c’est bien, on ne sera pas éblouis par les écrans, la répartition des activités semble géographiquement claire.
Et c’est une belle nuit qui se profile : apparaît un ciel de montagne à la voie lactée bien marquée, les magnitudes 6 et plus sont acquises sans aucun doute. Il y a du vent, mais il fait encore chaud. J’hésite à monter mon instrument. Il y a l’hébétude du voyage, je suis encore hanté par les panneaux qui défilent, les bandes blanches qui s’étirent, les toutes petites routes du Vercors (mais splendides, l’ai-je dit ? Ah oui). Et puis il y a ce vent. Quelques bonnes bourrasques, quand même… Je cède à la fatigue et à la facilité : ce début de soirée sera consacré à une courte excursion aux jumelles, autour de ma tente, avant de me coucher.
Dans les oculaires desdites jumelles ça claque gentiment, il y a du peps, le ciel est bon, pour sûr. De nombreux Messiers sortent facilement. La Lagune est visible à l’œil nu, il me semble que le Cygne aussi, et aux jumelles c’est certain : il y a de petites flaques de lumière. M24, splendides poussières de diamants… Je remonte tranquillement la voie lactée, puis les globulaires d’Ophiucus, moui, et là un peu plus haut c’est sûrement M11. Il n’y a pas à dire, c’est tout de même un peu autre chose que mon ciel de moyenne campagne, bon sang je devrais monter le 300, quand même. Mais le vent… Mais la fatigue… Je continue aux jumelles, toujours remontant : M71 tout petit point stellaire, le Cintre pas très loin, puis Albiréo, allongée, Epsilon de la Lyre itou, et par là ça doit être M56… Dans le Cygne, M39. De l’autre côté bien sûr M13, bon là c’est easy.
Mais je m’endors sur mes jumelles et préfère rejoindre mon crissant matelas pneumatique, qui me semble subitement d’un confort inouï. J’ai simplement pu vérifier que le ciel est bon, on passera aux choses sérieuses demain, ou plutôt aux choses non-sérieuses, aux choses futiles : les seules qui comptent vraiment.
Demain oui, moisson d’étoiles.
II- Carpe noctem
Au dos de son miroir de cristal
Étaient gravées les initiales de la Terre*
Une bonne nuit de sommeil, une journée ensoleillée et venteuse, puis l’assemblage, rapide, du 300 et la nuit qui se lève sans fausse pudeur, étincelante. Seul sous le ciel. Juste en-dessous. Pas d’artifices, le strict minimum : la technique fait obstacle, les écrans font écran. Oui, l’observateur face au ciel. Aucun fard et nous deviendrons intimes. Il n’y a pas d’autre Voie.
Il faut d’abord rattraper le Scorpion, qui plonge derrière la montagne toutes pinces en avant. Visiter par courtoisie M4, le mastard du coin, puis Graffias qui m’apparaît comme une belle double blanc-bleutée, peu serrée mais bien fine.
Un peu plus loin, Nu Scorpii, ou Jabbah (mais sans Hutt 😉) joli système quadruple qui devrait évoquer epsilon de la Lyre (d’après Burnham Jr. dans son “Celestial Handbook”*) mais dont je ne parviens pas à distinguer la quatrième composante. Tout cela est bas, toujours plus bas, et la turbulence m’empêche de grossir davantage. Ceci dit l’ensemble est fin : une belle double accompagnée d’une composante bleutée allongée.
Je ne parviens pas à distinguer IC 4592, la Tête de Cheval Bleue, qui devrait être là, juste là, à quoi, 2 degrés vers le nord-est. D’ailleurs et rétrospectivement, ni Burnham ni Kepple & Sanner dans “The Night Sky Observer’s Guide”*, ne la mentionnent. Etrange.
A l’autre bout du Scorpion, j’échoue également sur NGC 6496, le globuleux ovale, trop bas pour les montagnes environnantes et peut-être pour cet hémisphère.
Mais tout s’enfuit par l’ouest c’est bien connu, et moi-même d’ailleurs m’échappe vers le Sagittaire qui resplendit en effleurant une crête.
En visite de courtoise, il faut saluer M8, lagune bien visible à l'œil nu, flamboyante, littéralement enflammée, et M20 qui la surplombe, petit nénuphar posé là. Très bel ensemble, dans le même champ au 30mm (82°), très structuré, spectaculaire ! Une flaque de feu sur une voie lactée phosphorescente. Il y a du volume et de la perspective, même.
On fait bien de passer et repasser sur les vieilles connaissances : de nouveaux détails peuvent toujours apparaître, et puis l’observation est tellement dépendante des facteurs environnementaux que, à la faveur d’un instant d’exception, une apparition peut se produire. Voire une transfiguration. L’épiphanie est rare, c’est d’ailleurs le principe de la chose, mais quand elle survient elle est glorieuse !
Il faut remonter un peu pour M 24, l’une des fenêtres ouvertes sur le centre galactique, qui troue la poussière avec une nuée de diamants où je distingue des chenaux sombres, des vallées, des gorges et des golfes. Le ciel est réellement de la partie, malgré la hauteur qui, fatalement et suivant sa pente naturelle, décline.
Toujours plus haut bien entendu, M 17 apparaît très structuré, détaillé, magnifique. Des voiles, des brumes, des zones de brillance différentes. Des extensions. Vision structurée et brumeuse tout à la fois. Un oiseau lumineux sur des eaux fumantes. Belle observation !
Petit détour par le Serpent pour saluer l’Aigle, qui survole la scène, forcément. Phosphorescent, structuré et détaillé, avec force extensions et volutes en vision directe. Comme un phoenix qui émerge du brasier voie-lactien.
Je reviens dans le Sagittaire pour M 22, très beau globulaire où je distingue quelques irrégularités de forme et de structure. M 28 offre bien moins, mais avec Kaus Borealis tout à côté le spectacle est plaisant. Plus bas, M 54 non loin à l’ouest d’Ascella (zeta Sagittaire), non résolu et décevant.
Mais on me hèle du côté du 500, c’est Xavier qui veut me montrer Little Gem. Ahhh oui, elle est joliment colorée de bleu-vert ! …Et il y a une double ovalisation, comme deux ovales superposés peut-être. Et puis, mais oui, des détails dans la structure, des zones contrastées, plus ou moins lumineuses… L’image est bien fine, il y a aussi un velouté, cette douceur typique des excellents miroirs d’artisans. Je la retrouve au 300, nettement moins détaillée évidemment, et un peu plus rugueuse, mais bien colorée. Mon bouzin ne démérite pas.
Puis NGC 6822, la galaxie de Barnard, un degré au sud de Little Gem, devinée comme une pâle lueur. Ah oui c’est bien pâlot. Je vais un peu de gauche et de droite, du bout des doigts, je vais et reviens… là ! Il y a quelque chose, là ! Un petit goût de reviens-y. Je fais appel à Xavier qui me la confirme de son meilleur œil de lémurien.
Etant dans le secteur, je vais me perdre ensuite un moment sur M 75, petit globulaire condensé au centre quasi-stellaire. Mais je suis ici à la frontière du Capricorne, je voulais voir la fenêtre de Baade, dans le Sagittaire, je me suis égaré, vite revenir plein ouest avant qu’une occultation montagneuse, si je puis dire, ne me barre la vue.
Dans ses “Small wonders” Tom Trusocks* mentionne deux amas globulaires, NGC 6522 et NGC 6528, observables dans l’une des déchirures du nuage de poussières qui autrement empêche de voir en direction du centre galactique. La fenêtre de Baade. Il faut se diriger vers gamma du Sagittaire.
Je file rapidement et dans l’ouest finissant, tel un Mercure en déroute. Là ! Oui là, à disons quoi, un gros demi-degré de gamma (Al-Nasl), versant ouest, je distingue un discret amas globulaire. Et là encore, dans le même champ, en voici un second plus ténu encore. Ça y est : j’observe à travers la fenêtre de Baade, dans une trouée qui dévoile ce qui est habituellement voilé, des objets à 25 000 années-lumière et proches du centre galactique. Je ne les avais jamais vus, toujours trop bas, toujours dans les brumes de pollution de la campagne alsacienne. Ahh, c’est donc ça. Faiblard, mais émouvant. Se dire qu’on observe loin en direction du centre de la galaxie, et proche de son cœur… c’est émouvant et intéressant, vraiment.
L’astronomie est décidément un plaisir autant intellectuel qu’esthétique.
Je remonte ensuite par l’Ecu de Sobieski. On y tombe toujours sur M 11, l’amas des Canards Sauvages (au pluriel, car il s’agit d’un vol de canards migrateurs. Si). Très joli avec sa centrale orangée. De la poudre de diamants, organisée en formation migratrice. Au 30 et au 13mm mais mieux au 30, dans son jus stellaire.
Ensuite mais juste au sud, M 26, petit amas peu dense. Au 30 mm. Semble pauvre, surtout après M11. Mais fin, à la réflexion, raffiné même, comme une petite pincée de poudre de diamants.
Deux petits degrés vers le nord-est, NGC 6712, globulaire discret et assez lâche. J’échoue à repérer IC 1295, qui devrait pourtant être tout à côté, mais ce doit être un objet pour astro-imageurs.
Je m’échappe sur NGC 6664, joli amas ouvert tout à côté d’alpha. Au sud du champ, Sue French dans son “Celestial Sampler”* signale Isserstedt 68-603, un arc d’étoiles envisagé un temps comme un marqueur du caractère spiral de la galaxie. Mais il n’en fut finalement rien et aujourd’hui c’est un banal astérisme.
A l’ouest, dans Ophiucus, je rends mes hommages aux globulaires du coin, M 12, 10 et 14. Je profite toujours de ces visites de courtoisie pour glaner je l’ai dit quelques détails, rafraîchir mes images mentales, et puis tout simplement pour leur propriétés esthétiques.
Je file sur IC 4665, ou Crèche d’été, petit paquet visible à l’oeil nu à côté de Cebalrai, et qui à l’oculaire exhibe une vingtaine d’étoiles.
NGC 6633, dix degrés vers l’est, est nettement plus spectaculaire ! Cet amas ouvert est assez fourni, une trentaine d’étoiles réparties en longueur. Sympathique, surtout au 30mm.
Je plonge ensuite dans IC 4756, ou amas de Graff car redécouvert par Kasimir Graff en 1922, après que Philippe Loys de Chéseaux l'ait dit-on peut-être déjà cité au 18e siècle. Kepple et Sanner le qualifient de “exceptionnellement grand et dispersé” (“The Night Sky Observer’s Guide”*, 2-378) et il est grand en effet, étiré qu’il est sur plus d’un degré.
Mais une voix d’outre-tombe me tire de ma transe, on dirait que cela provient d’un arbre, ah mais non c’est toujours Xavier derrière son 500, qui veut me montrer Barnard 139. Moui… Ah, oui… oui oui oui, sûrement. Je soupçonne quelque chose, là. Ou là-bas. A moins que ce ne soit par là… Un soupçon de noir, sur fond noir. Disons : une qualité de noir différente. Il y a le noir du fond de ciel, et puis comme un noir opaque peut-être répandu ici et là. Ou là-bas. Ces nuages obscurs : même au 500 c’est fuyant, fuyant…
D’autres objets m’appellent, qui trouent la nuit de leur splendeur, eux.
* inspiré de Pablo Neruda :
“Il fut tendre et sanglant mais sur la poignée de son arme,
cristal mouillé,
les initiales de la Terre étaient écrites.”
in Pablo Neruda, Chant général, La lampe sur la Terre, Amor América (1400)
III- La nuit du bolide
Seul,
Sous le ciel, juste en-dessous ;
Face à l'Univers,
C'est cette sensation que je recherche ;
Pas d'interfaces,
Pas d’artefacts,
Minimum matériel ;
Aucune médiation :
l'observateur et l'Univers ;
Quel luxe.
Privilège !
Une chouette hulotte pousse son cri de loin en loin. La nuit est levée. Il y a eu du vent en journée, mais il a cessé et une voie lactée opalescente s’étire paisiblement d’un horizon à l’autre. J’émerge de ma torpeur diurne, tel un diogène échappé de son tonneau, ou plutôt de sa tente, mal rasé et hâve, et rejoins presque furtivement mon instrument.
Pour me réchauffer l’oeil après les nuages obscurs (cf. épisode précédent) je vais d’abord sur un objet brillant dans l’Aigle, NGC 6709. Un piquetis d'étoiles éclatant parcouru de chenaux sombres, qui rehaussent par contraste des étoiles alternativement bleues et oranges.
Puis je passe dans la Flèche, rapidement (forcément) sur M 71, qui apparaît d’autant plus discret et peu dense qu’il est perdu dans un champ assez riche.
Dans le Petit Renard, le Cintre, ou amas de Brocchi, étale sa dizaine d’étoiles sur tout le champ du 30mm (82°). Sue French, dans son “Celestial sampler”* y signale Struve 2521, un système quadruple : “Un instrument de 4” montre un troisième compagnon plus faible (magnitude 11), plus proche du nord-est ; la séparation est facile à 40x” (French, Sue, “Celestial sampler”, p. 127. Traduction… libre). Evidemment au 300, c’est plus facile que facile et, au nord nord-est de l’étoile principale, trois compagnons sont finement alignés. Ah, c’est bien joli !
Mais il y a surtout et bien entendu M 27, que je peux grossir ce soir. Elle emplit tout le champ du Nagler 5 et, avec le filtre OIII, c’est un plaisir toujours renouvelé. J’y distingue force nouveaux détails, et puis comme des extensions qui débordent du champ. Je repasse au Nagler 13, mais elles disparaissent. Champ ou grossissement, il faut choisir ! Il faudrait un Ethos 5, peut-être. Ah c’est toujours pareil. En attendant et pour une fois je choisis le grossissement, retour au Nagler 5, on a vu plus malheureux, et je me noie un très long moment dans cette splendeur.
Le Cygne est accroché au zénith et j’ai envie de revoir la blinking dans les meilleures conditions. Faisant fi du trou du Dobson (qui m’avait déjà joué un tour, en 2018, sous d’autres cieux), je file vers l’aile gauche. Chemin faisant, je passe par M 29 pour y glaner, peut-être, une nouvelle vue. Bon, le quadrilatère d’étoiles bleutées ne montre rien de plus, alors… Je poursuis vers le nord-ouest et me réconforte avec la jolie teinte verte de la blinking. Mais, phénomène mystérieux, je n’arrive pas à la faire clignoter ce soir. J’ai beau alterner vision directe et indirecte, la centrale reste obstinément visible. Bigre : la blinking ne blinke plus. En revanche, elle exhibe un joli halo. Mais de blink, point. …J’y reviendrai d’autres nuits, et elle clignotera à nouveau. Etrange : ça devait être moi, forcément. Quoi qu’il en soit, son joli halo vert ressortira, lui, parfaitement bien à chaque fois sous ce ciel de montagne. Très jolies observations !
Tout à côté de Sadr, NGC 6910, un petit amas ouvert assez lâche en forme d’y. Il est surtout censé être noyé dans un nuage obscur, IC 1318, qui doit s’étendre à son sud. Kepple et Sanner m’ont mis l’eau à la bouche, ou plutôt à l'œil, avec une magnifique photo (“The Night Sky Observer’s Guide”, vol. II, p. 145*). Mais j’ai beau zieuter, décaler l'œil (et le bon) autant que je peux, aller et revenir : je n’observe rien de plus obscur que l’obscurité du fond de ciel. C’est le type de cible que je gardais pour un ciel noir et transparent, d’ailleurs à l’oeil nu celui-ci est resplendissant… Mais non.
Qu’à cela ne tienne, je descends au long du cou du volatile pour trouver NGC 6888, le Croissant. La forme vaporeuse de croissant est non seulement bien visible mais de fines marbrures sont visibles dans sa structure, comme des filaments en arcs de cercles qui lui donnent de l’épaisseur, et même du volume. Je passe un moment à détailler mentalement chaque marbrure, chaque rayure. En insistant, de nouvelles fibres apparaissent, qui parcourent verticalement l’épaisseur de la structure, la nébuleuse gagne encore du volume et un effet de perspective m’apparaît alors. C’est une belle observation !
Je continue, remonte, tire et pousse mon dobson du bout des doigts. C’est un corps à corps, ou une danse. Oui, une danse. Danse, danse, petite déesse de verre, de métal et de bois !*
J’arrive sur NGC 7000, North America : elle sort facilement, au 30mm accompagné du filtre OIII. Sa forme est bien visible, elle contraste nettement avec le fond de ciel. Au niveau du golfe du Mexique, en particulier, c'est évident : la nébuleuse obscure lui donne sa forme typique. En insistant, je vois des radicelles de fumée noire qui pénètrent les zones lumineuses. Belle observation à nouveau !
Curieux que j’aie échoué à distinguer IC 1318 (je ne m’en remets pas), alors que l’Amérique du Nord sort si facilement. Mais l’évidence est là, sous mon œil ébahi (mais décalé, tout de même) !
Puis M 39, l’autre Messier du Cygne. Encore un amas ouvert assez lâche, étendu, une vingtaine d'étoiles bleues et blanches. En raison de son amplitude, l’ensemble n’est sympathique qu’au plus grand champ possible, à saisir sur fond de voie lactée scintillante.
Je file sur 61 Cygni, l’étoile de Piazzi, dite aussi “étoile volante” en raison de son déplacement très rapide, d’une part en raison de sa proximité (11 al.) au soleil, d’autre part du fait de son mouvement propre dans la galaxie, si j’ai bien compris. Facile à trouver, Sue French indique qu’il faut imaginer un quadrilatère avec Deneb, Sadr et Epsilon. A l’observation c’est une jolie double orange. La plus brillante est très légèrement plus rouge que l’autre qui arbore, elle, une nuance subtilement plus jaune. Jolie double, si on prend le temps d’en percevoir les nuances.
Quelques degrés plus bas, en revenant vers Epsilon, Sue, toujours elle, indique Ruprecht 173. C’est un amas ouvert d’une soixantaine d’étoiles. Dans sa partie Est, une étoile jaune saute aux yeux et Sue m’apprend (je l’appelle par son prénom : nous sommes intimes maintenant) qu’il s’agit de X Cygni, une supergéante jaune pulsante qui passe de la magnitude 5,9 à 6,9 en un peu plus de 16 jours. J’ignore si elle est à son maximum mais elle ne doit pas en être loin, car effectivement elle claque furieusement avec le reste de l’amas ! Jolie et intéressante observation, à suivre dans le temps si possible.
Bêtement, j'ignore Ruprecht 175, juste à côté. Bon apparemment c’est un petit truc anecdotique, en comparaison, mais quand même, c’est ballot. Ce sera pour une prochaine excursion, tiens il faut toujours se laisser des cibles. Enfin, ce n’est pas ce qui manque, hein, il y faudrait plusieurs vies d’observateur…
Mais de derrière un grand arbre me parvient une voix enjôleuse… Ah mais oui, c’est Xavier, caché par son 500, qui m’invite à observer une comète (2023 E1 ?). La visiteuse est pâlotte mais belle, avec une petite chevelure et une queue discrète, naturellement orientée en direction contraire du soleil. C’est bien joli !
Je me paye ensuite de grands coups d’oeil gourmands sur NGC 6960 / 6992 : les Dentelles resplendissent sous ce ciel bien noir. Je les parcours longuement au 30mm et les détaille au 13mm. Evidemment, l’OIII est de la partie, il se doit de l’être d’ailleurs, et justifie ici pleinement son indispensabilité : les extensions sont longues, fines, et perceptibles même loin des zones évidentes. Sur la grande comme la petite Dentelle, c’est une surenchère de voiles arachnéens, d’extensions. Le Balais de la sorcière, le Triangle de Pickering : tout y est. Quel plaisir toujours renouvelé !
Après m’être rincé l’oeil longuement je passe dans la Lyre, juste sous Véga, pour revoir Zeta Lyrae (Nasr Alwaki I) C’est une jolie petite double très courue, une étoile blanche et un compagnon de couleur jaune qui se tient à bonne distance. Comme toujours sur les doubles et autres systèmes multiples, c’est notamment le contraste de couleurs qui rend l’observation esthétique. Et comme toujours en observation astronomique il faut se donner le temps d’apprécier les variations de couleurs, de densité, de forme et de structure sur les objets. Ces variations sont fines et ne se donnent qu’après une longue et patiente observation. C’est d’ailleurs la récompense de l’observateur patient ; le voyeur pressé restant, lui, dans l’ignorance.
Et à propos de couleurs, je retrouve non loin T-Lyrae, la belle carbonée de la Lyre. A rechercher à 2 degrés à l'Ouest Sud-Ouest de Véga. Celle-ci arbore une très belle couleur rouge-cuivre, rouille, qui contraste fortement avec les étoiles alentour. Une de mes carbonées préférées, spectaculaire !
Je jette ensuite un bon coup d'œil sur l’inévitable M 57, obligatoire quand on est dans le coin. Vais-je, cette fois, en discerner la centrale ? L’ovale de fumée apparaît certes bien découpé sur son écrin noir d’encre, bleu-vert, avec son renforcement typique au niveau des anses. Mais la centrale restera, une fois de plus, invisible. Flûte et zut. Là encore j’espérais, en ciel de montagne… Mais la prude se dérobe une fois encore.
Je prends M 56 au passage, petit lot de consolation. Le globulaire se défend, il est piqué, accroché au ciel comme un petit lustre de cristal. Mais j’ai mal aux lombaires, malgré la chaise de repassage.
Je me redresse le dos et m’étire, nez en l’air et ne pensant à rien (comme souvent) lorsqu’un flash illumine le ciel, le sol et les alentours. Un trait de lumière fend le ciel en deux, Nord-Sud, un coup de sabre argenté ! Alors comme en écho une clameur monte du fond du terrain, une ovation, des applaudissements qui résonnent dans la nuit. J’ai l’impression d’être dans un stade, un cirque entouré de montagnes en ombres chinoises. L’ampleur de l’acclamation donne une dimension supplémentaire au présent, renforce le sentiment de vécu, ancre l’instant dans le réel. Rien ne remplace cela et rien ne le remplacera jamais. C’est l’émotion du présent : j’éprouve le sentiment d’exister au monde, d’y être et d’en être, puissamment. Une brise tiède caresse le visage.
J’ai juste le temps d’ouvrir la bouche, une fumée verte et persistante s’étale déjà en zigzags vers le sud. Pour un peu je me serais attendu à ce que Xavier crie “lumière !”, le flash a illuminé le sol, mais non : je n’entends qu’un bruit de gomme. L’animal n’aura rien vu, absorbé qu’il doit être dans le dessin d’une nébuleuse obscure de magnitude 15 au moins.
Cœur battant, il me faut du brillant après cela. Inutile de chercher des nébuleuses obscures, d’ailleurs je suis ébloui. Après un bref repos sur ma chaise de camping, je file sur M 13 et elle ne déçoit pas. Elle est magnifique ce soir, bien définie, fine et résolue jusqu'au 5mm.
Je retrouve mes facultés d’observation nocturne, si je puis dire, sur NGC 6207, juste à côté. Discernée comme un ovale diffus au 24mm, confirmée au 13mm. C’est une brume ovale. Placée dans le même champ que M 13 la galaxie s’éteint, mais le contraste avec l’amas globulaire est saisissant : un lustre de cristal accompagé d’une brume lointaine, qui restitue la sensation d’espace, de perspective. Un vertige.
Après M 13, M 92 en visite de courtoisie est toujours un peu décevant. Plus petit bien sûr, plus compact au centre et plus diffus sur les bords. Mais il a sa personnalité. Bien joli quand même !
Je repasse par Rasalgethi, toujours fine et superbe : une étoile blanc-bleutée tout à côté d’un compagnon plus brillant, orange doré.
Enfin je retourne débusquer NGC 6210, la Tortue. L’animal timide resiste un moment à la montée des grossissements et reste longtemps stellaire, mais cède vers 300 fois pour montrer une très petite tranche de citron vert, floue sur les bords. Là-encore, c’est subtil et il faut y accorder du temps : les bords flous dévoilent quelques nuances de teintes, et peut-être de densité, mais uniquement à la longue, patiemment. L’Univers se dévoile à l’observateur attentif. Il reste caché au voyeur pressé.
*inspiré de Metallica : “Dance, little tin goddess, dance” in Metallica, “The Memory Remains”.
IV- Nuits publiques et jours indolents
“Quand on regarde quelqu’un, on n’en voit que la moitié”
Christian Vincent
Je suis un peu ours et passerai à côté de quelques personnes et non des moindres. Tel astro-dessinateur réputé, tel autre ténor des forums… Ce n’est pas désintérêt, bien au contraire. Alors quoi, le syndrome de l’observateur solitaire ?
Peut-être.
Mais je ne bouderai pas les nuits publiques.
J’en suis, et plus souvent qu’à mon tour.
C’est peut-être ma position, un peu avancée sur la route, qui m’expose. Xavier lui, le rusé, est en retrait. D’ailleurs un peu plus tard, au cœur de la nuit, il m’avouera que parfois il part se cacher derrière un arbre. Moi seul tiendrai ferme la barre. Je suis aux avant-postes.
Un couple se présente et j’entame un tour de découverte du ciel d’été. Je suis encore frais et dispo, et tout y passe, en partant du Sagittaire je remonte toutes les flaques de lumière, jusqu’aux dentelles, en passant par Saturne (“Oh !”). Il est vrai qu’elle claque bien, et d’ailleurs j’ai un souvenir mémorable d’une autre nuit : Saturne figée, un trou de turbulence, les anneaux parcourus de microsillons (Encke ? En tout cas je l’ai cru), le disque crémeux rayé de bandes en nuances de bruns. Un de ces moments, rares, où l’atmosphère veut bien s’effacer.
Ce soir elle est très bien, même si la grâce est absente.
Mais les gens sont heureux et d’ailleurs ils s’en vont, ce qui me permet de revenir à mes observations, voire de revenir à moi.
Je file dans Andromède revoir l’inévitable M 31 qui est d’ailleurs obligatoire, quand je suis dans le coin. Pour une fois elle est bien contrastée, certes laiteuse à souhait comme toujours, mais alors contrastée, contrastée ! Et puis il y a comme des zones de densité différentes, on devine qu’elles sont structurées différemment. Ça n'est pas ce brouillard laiteux mais délavé habituel, c’est une pâte de lait plus dense, plus opaque, plus profonde, avec des zones crémeuses plus ou moins renforcées. Avec M32 et M110 dans le même champ au 30mm, c’est beau. Vraiment beau. Et cela me conforte intérieurement dans ma pratique de ré-observation systématique des classiques, quand je suis de passage dans le secteur. J’ai bien fait, très bien fait même : j’ai une demi-épiphanie sur cet objet, classique parmi les classiques, mais souvent dilué.
Dans Pégase je fais mes hommages à M15, le globulaire vedette du coin. Son cœur est toujours spectaculaire par sa densité. A déguster avec un peu de puissance : aux 8 et 5mm.
Puis je passe au véritable sujet de ma visite : NGC 7331, qui se révèle splendide. Je me l’étais notée comme étant à revoir sous un ciel de qualité et mes vœux sont exaucés : sa structure apparaît dès la vision directe, le bulbe saute aux yeux (ou plutôt : à l'œil). En vision décalée, des zones de densité variées émergent peu à peu, formant très certainement les bras. Une vraie crise de beauté à l’oculaire.
J’y passe un long moment en essayant d’intégrer le maximum de photons anciens. Les vieux photons, voici mon péché mignon, me dis-je. Curieuse monomanie ! Quoi qu’il en soit c’est une très belle observation. Je lis rétrospectivement qu’on a longtemps pensé à NGC 7331 comme à une jumelle de notre voie lactée (BURNHAM Jr., Robert, “Burnham’s Celestial Handbook”, Dover publications Inc., 1978, vol. III, p. 1387) mais qu’entre-temps la nôtre s’est barrée, si j’ose dire, et que la comparaison n’est plus de mise. Mais peu importe, il y a des observations qui réconcilient et compensent toute la litanie des nuits banales, molles, et celle-ci en fait partie. Ah c’est bon, le pep’s !
Je m’apprête à me délecter visuellement du Quintette de Stephan quand trois touristes débarquent, comme surgis de nulle part. C’est le syndrome des soirées publiques : on y est interrompu à la brutale. Si on y ajoute le syndrome commun à toutes les star-partys, qui veut qu’on ait des autres que des murmures et des ombres chinoises, il y a de quoi sursauter à l’occasion.
Je repars illico pour une mini-excursion “des-merveilles-du-ciel-d’été”. Mon sourire doit être un peu crispé, mais heureusement ça ne se voit pas (le coup des ombres chinoises. Pratique).
Une heure plus tard et croyant toujours en ma chance, je me dis que ça y est, je vais pouvoir jouir du moment pour revoir le Quintette de Stephan. Je retourne dans Pégase. Cherche. Eh bien… eh bien il faut faire preuve de persévérance pour ne compter que 4 galaxies. Je n’arrive pas à séparer NGC 7318 A de 7318 B. Voilà qui contrarie l’observation et l’observateur par la même occasion. Bigre ! D’un moment à l’autre, le ciel reprend ses faveurs. Il eut fallu pouvoir profiter davantage de l’instant de grâce constaté tantôt ! Ah ces touristes !
D’ailleurs pas de NGC 7320 C non plus, mais bon là il ne faut pas pousser : je n’y comptais pas, la nuit est belle mais quand même. Je ne peux pas tout mettre sur le dos des passants (quoique…). Et puis je n’ai que 300mm sous la pédale, enfin sous l’oeil.
Je vais me consoler sur NGC 7662, la boule de neige bleue, que je vois bleu-vert. Mieux sans aucun filtre, au naturel. L’étoile proche qui l’accompagne dans le champ est bien visible (mag. 13,2), mais malgré mes efforts je ne parviens pas à distinguer la centrale. Je ne suis d’ailleurs pas certain qu’elle soit à portée de 300. Mais l’enveloppe est belle, j’ai l’impression qu’elle s’assombrit vers le centre en arborant une teinte bleutée.
La nuit continue et sur les avant-postes, toujours je suis. J’y reste. Et du coup, j’assume. Je débite du touriste sauvagement, deux ou trois personnes d’âge certain se présentent encore, allez on y va, je sens maintenant venir une vocation de montreur du ciel, voire de médiateur scientifique, hahaha rien ne m’arrête plus, je suis un véritable go-to humain, je… je suis fatigué. Vers 2h du mat’, je cale. J’ai dû montrer les dentelles une bonne dizaine de fois, et les autres vedettes du ciel d’été itou. J’ai soif. Faim.
Une diversion s’impose. Je vais, moi aussi, jouer au touriste, il n’y a pas de raisons tiens, et file vers le bas du parking. Il y a là un 500 que j’avais repéré en journée, et surtout son propriétaire, détenteur d’un bidule qui intensifie la lumière, qui prend les photons et les multiplie, j’en prends deux et je t’en rends vingt, enfin un tour de passe-passe du genre. Le propriétaire en question m’accueille gentiment et me prévient aussitôt : chaque fois que j’émettrai un juron ou autre interjection du genre en regardant dans son binoculaire truc-muche intensificateur, il faudra que je verse 1 €. J’accepte en riant et il me tend l’appareil. Dans le noir complet je ne distingue pas grand-chose, c’est un objet qui arbore approximativement les formes et dimensions d’une petite paire de jumelles, disons des 8x40, et c’est léger.
- “Alors bon, regarde d’abord autour de toi, hein, pour t’habituer… Je te demande uniquement de ne pas fixer longuement des sources de lumières intenses…”. Je me demande de quoi il veut parler : il n’y a aucune source de lumière intense, à part bien sûr les quelques inévitables loupiottes rouges qui… “- OH purée !! (en vrai j’ai dit un mot moins noble) ;
-1 €.
- Hein quoi ?
-1 € : tu as dit : p**.
- Ah oui. Mais… OH la vache !!
-1 €.”
Autour de moi, il fait subitement jour. Incroyable : on se croirait réellement en plein jour. Un jour un peu grisâtre, un peu granuleux. Mais jour. Je me rends compte que j’ai plus de personnes autour de moi que je ne le pensais. Ils ont l’air un peu hagards, comme s’ils regardaient dans le vide. C’est que pour eux, il fait nuit noire et leurs regards sont tournés vers… le néant. Du moins, c’est l’impression qu’ils donnent. Me revient l’expression bien connue : “au royaume des aveugles, les borgnes sont rois”. Sauf que je ne suis d’ailleurs pas borgne, mais bien binoculaire. C’est réellement spectaculaire : je pourrais me promener au milieu de cette petite assemblée tel l’homme invisible, héhéhé. De quoi se prendre pour superman, ou au moins pour un soldat d’élite pendant quelques minutes…
- “- Et maintenant, regarde le ciel. La voix de l’heureux propriétaire me tire de mes rêveries de super-pouvoirs.
- Oh p*** !!.
- 1 €
- Hein quoi ? Ah oui, les jurons tout ça… Nân mais arrête… Mais purée (“1 €”, dit l’écho) mais c’est complètement fou : sous mes yeux une voie lactée surréaliste se déploie, brillante et tourmentée. Tous les nuages obscurs sont visibles d’emblée, les Barnard, les que sais-je, et toutes les nébuleuses brillent comme des oasis de lumière, incroyable. C’est saisissant. Un peu gris, un peu granuleux, d’accord, mais saisissant. Oh purée…
- 1 €.
- Ah oui, m***
- Et 1€.
- Mais screugneugneu, débranchez-le ! …Non !! Attends encore un peu…
- Si tu veux, on peut le monter sur mon 500.
- Ah mais oui ! J’étais d’abord venu pour ça, et sous le coup des ébahissements répétés j’avais oublié (!).
Ni une ni deux, le schmilibilick est dans le porte oculaire, tel une bino ordinaire. J’y colle les yeux :
- “Va sur NGC 7000”, me susurre la voix. Je pivote, tel une tourelle de DCA, sur North America.
- “Oh purée !!”
- 1€, fait l’écho.
Que dire, tout y est et plus encore. La Floride, le golfe éponyme, la Californie, les extensions, des radicelles de fumées obscures qui irriguent tout ça, c’est Byzance, enfin non c’est l’Amérique ma parole ! Incroyable. Non mais c’est vraiment fou, tout en vision directe, et qui resplendoit, en plus, enfin qui luit, qui scintille, quoi. Ah oui ! Mince alors (“1 €”. Je commence à comprendre comment il rembourse le crédit du bidule) ! On file sur Pacman, qui apparaît là encore de façon surréelle : la silhouette typique de l’animal, oui mais pas que, tout scintille, il y a de la matière, l’image est photographique. Il ne manque que la musique du jeu. Tiens, ce serait une idée d’option ça… Non mais sérieusement : c’est spectaculaire. Tout tient en ce seul mot : spectaculaire. C’est sorcerie ! J’en reste baba un long moment, je dois avoir la bouche ouverte, heureusement que les autres ne voient rien.
Puis je réalise que le mot spectaculaire, qui dit tout, comporte aussi sa part d’ombre : le spectacle est assuré, certes. Les images sont brillantes et sautent aux yeux. Mais quid du patient et lent décryptage qu’impose la vision naturelle (appelons-la comme ça) ? Quid de la patiente découverte et de la lente assimilation des détails ? De l’effeuillage, couche par couche, de la réalité ? Là au contraire, tout est donné d’emblée, sans pudeur. Le spectacle est assuré, certes, mais où est la lente séduction ? J’ai l’impression que la nature esthétique de l’univers ne se dévoile qu’aux observateurs, non aux indiscrets. J’ai presque l’impression d’avoir commis une effraction, ou à tout le moins une infraction.
Je ne veux pas paraître ingrat : l’instrument donne à voir un spectacle, et je suis reconnaissant à son propriétaire de m’avoir permis d’essayer. C’est le festival des lumières ! C’est sûrement un complément intéressant à la découverte. Mais ça n’est pas la chose elle-même, c’est une représentation (amplifiée) de la chose. Elle ne remplace pas, à mes yeux, la lente intégration des détails qui, ici, sont noyés dans la lumière. Non, je lui préfère les photons anciens, les photons vieux, “originaux” si ce mot à un sens. Plutôt que la visualisation amplifiée, assistée (je ne veux pas ici rouvrir le débat), je préfère l’observation naturelle. Voilà, je crois que j’ai trouvé la terminologie adéquate : observation naturelle.
Néanmoins je l’ai dit, c’est certainement intéressant comme outil de découverte, et c’est idéal dans les star-party ! Et le mode de refinancement du propriétaire est intéressant (et nécessaire, quand on connaît le coût de la chose : prévoyez cinq chiffres 😯) !
Je retourne dans mes pénates et sur mes observations (naturelles). Des touristes noctambules passent, et tout est à nouveau entrecoupé de coups d'œil sur les vedettes du ciel d’été.
Dans un moment de tranquillité je repars vers Andromède, plus précisément sur le Triangle, M33, dont je distingue les spires. Une jolie observation de cette galaxie, mais le meilleur instant de la nuit ne se reproduit pas.
Il y aura également encore, dans le Verseau, M 72, petit et faible, à fleur de montagne, puis M 73, amas ouvert carrément étique, remarquable de pauvreté, dont Burnham lui-même affirme : “Cet objet, qui n’est pas un véritable amas, n’est qu’un noeud de quatre petites étoiles” (trad. libre) et un peu plus loin, citant le fameux Amiral Smith : “Un trio d'étoiles de 10ème magnitude dans un champ pauvre - c'est M73. Je le donne par respect pour la mémoire de Messier" (BURNHAM Jr., Robert, “Burnham’s Celestial Handbook”, vol. I, pp.189-190.).
Une sorte de curiosité à l’envers, en somme.
Des touristes passent, jettent des coups d'œil, repartent.
Xavier me montre la supernova de M 101 dans son 500, qui semble avoir bien décru (la supernova, pas son 500). Elle reste néanmoins plus brillante que ce que j’ai pu en voir au 300 ces derniers temps.
Une dame d’un âge certain m’accapare un moment, je repars sur les-merveilles-du-ciel-d’été. Du côté de Xavier, on n’entend plus que des crayons. Cette dame est du coin, on sympathise, on discute de l’époque, du retour de l’obscurantisme, on refait le monde.
Une fois partie, Xavier, depuis l’arbre où il était caché, m’informe que j’ai dit deux ou trois bêtises. Du style : j’ai mis le trou noir de M 87 dans M 82. Oui bon, un détail, quoi. Moi je n’ai pas noté que le ciel avait basculé pour autant. Ce n’est pas la mort du petit cheval…
Xavier pointe NGC 6503 dans le Dragon. Je distingue une bande d'absorption horizontale, et peut-être comme des bandes sombres verticales à certains endroits, à moins que ce ne soient des zones de moindre densité. J’en profite pour comparer avec le 300, où le fuseau reste évident, mais sans détails.
En visite de courtoisie, je vais comme de juste rendre visite à NGC 6543. L'œil de chat apparaît ovalisé, structuré, complexe. Belle observation !
Je finis sur Kemble 2, petit astérisme en forme de Cassiopée. Il est mieux au 30mm, dans son environnement. C’est curieux et mignon comme tout, cette mini-cassiopée au fond de son champ étoilé.
Ces deux nuits touristiques (oui : je regroupe ici plusieurs nuits) sont étranges, entrecoupées qu’elles sont de voix dans la nuit. Clairement, ça perturbe les listes d’observation, mais c’est sympa et gratifiant, il faut le dire aussi. Ça bruisse de mouvement, on est frôlé dans la nuit, c’est la salle des pas perdus. Il y a le syndrome des stars parties : on n’a des gens que leurs ombres et leurs voix, des voix fantomatiques dans la nuit, et peu voire aucune image mentale. Quelques ombres chinoises. La nuit protège (tiens, il y a quelque chose, là). C’est aussi un peu frustrant.
Il y a les “oooohhh” et les “aaahhhh” ! Il y a les discussions à bâtons rompus jusqu’à plus d’heures du mat’. On refait le monde, on refait la nuit.
J’en garde un très bon souvenir.
- Jours indolents
“La nuit ne communique pas avec le jour,
Elle y brûle”
Matthias Enard
Les journées sont un peu molles, indolentes quoi, mais c’est bien normal : on est zombifié par la fatigue. A la fatigue initiale de la route s’ajoutent les fatigues des nuits blanches qui se succèdent. On ne revient jamais tout à fait à soi. On évolue ainsi dans une version un peu terne de soi-même, mais la tête encore pleine des richesses de la nuit.
Les plus courageux, dont je ne fais pas partie, peuvent se livrer à quelques activités : pour les familles, mini-golf, tir à l’arc, tyrolienne et, pour les plus téméraires, Deval’kart, une sorte de caisse à savon qui dévale la montagne.
Pour les astrams, il y a une conférence dans l’après-midi. Etant arrivé après celles dont les thèmes auraient pu m’intéresser, j’ai préféré craquer pour la sieste.
Pour tout le monde, il y a le soleil et le grand air, qui sont abondants. Et à propos de soleil, on trouve dans le campement quantité d’instruments dédiés. J’observe d’abord dans la Lunt de Xavier. Le disque orange est marqué de quelques taches et facules, et sur son bord ouest il y a une belle protubérance. C’est assez spectaculaire.
Mais il y a plus loin une gigantesque lunette : une TEC 180, avec une bino. Ah c’est grandiose, et je parle tout à la fois de l’ensemble matériel (avec la longueur du tube, la bino, les rallonges et tout, on dirait une mini-grue !) et de l’image. En bino la sensation de relief est bien là, l’immersion est complète. On perçoit le soleil comme une sphère, quelques taches solaires sont distribuées dessus, c’est splendide ! Ça vaut surtout pour la sensation de relief.
La plus belle vision viendra cependant d’un instrument d’apparence (un peu) plus modeste : une autre Lunt, mais “double-stack” cette fois-ci. Les deux étages de filtration permettent d’accéder simultanément à plusieurs couches du soleil. Et bien que monoculaire, la vision fut saisissante : le disque orange était parcouru de marbrures blanches, les facules, où évoluaient également des taches solaires. Il y avait une sensation de profondeur et même de relief, bien qu’on soit en mode cyclope je l’ai dit. Clou du spectacle, des protubérances ceinturaient le disque ! Elles étaient de tailles variées, petites pour la plupart, mais l’une d’elles formait une arche de matière qui devait être colossale. L’image était petite, mais fine et précise, on pouvait distinguer dans cette arche comme des filaments, des fibrilles, des arcs qu’on devinait magnétiques, enfin c’était splendide. Au retour Xavier me demanda si j'avais vu des baobabs, sur le coup je ne compris pas : il parlait en fait des protubérances qui, oui, apparaissaient à la surface du disque, non sur le pourtours, comme en relief ou en surimpression sur fond orange.
C’était une splendeur.
Il fallut cependant se remettre en route vers des cieux moins cléments, moins propices à l’observation, même si nettement plus confortables. Mais l’inconfort matériel participait à la libération de l’esprit.
Oui : j’ai vu des forêts de baobabs.
Et bien des flambées d’étoiles !
Le ciel là-bas en vaut la peine.
Il faut y aller.
Il faut y retourner 🙂.
* Bibliographie :
- TRUSOCK, Tom, “Small wonders”, Cloudy Nights ;
- FRENCH, Sue, “Celestial sampler”, Sky & Telescope Media ;
- KEPPLE (George Robert), SANNER (Glenn W.), “The Night Sky Observer’s Guide”, Willmann-Bell, Inc., 2002 5e édition.
- BURNHAM Jr., Robert, “Burnham’s Celestial Handbook”, Dover publications Inc., 1978.